Publications du Wolfsberg La fuite des capitaux Nature et évolution Guido R. Hanselmann Directeur général de l'Union de Banques Suisses Zurich Publications du Wolfsberg, volume 13 c Centre de formation du Wolfsberg de l'Union de Banques Suisses, Ermatingen, 1988

Table des matières Objectif de cette publication . . . . . . . . . . . 3 Flux internationaux de capitaux: provenance et destination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Ampleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Etats-Unis: principal refuge . . . . . . . . . . . . 11 Globalisation des placements de capitaux . . . . . . 14 Fuite des capitaux . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Qu'entend-on par fuite des capitaux ?. . . . . . . . 18 Pourquoi une fuite des capitaux ?. . . . . . . . . . 21 Historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Comment s'effectue la fuite des capitaux ? . . . . . 27 Capitaux en fuite et crise de l'endettement . . . . 30 Incidence sur l'endettement. . . . . . . . . . . . . 30 Rapatriement dans les pays débiteurs ? . . . . . . . 32 La Suisse et ses banques: un cas particulier ? . . . 35 Résumé synoptique . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Objectif de cette publication La fuite des capitaux est devenue un thème politique. On prétend régulièrement que les banques, surtout les banques suisses, facilitent les évasions, pratiquent le recel et servent de refuge pour des milliards en quête d'abri. En outre, elles prendraient une part non négligeable à l'appauvrissement et à l'endettement de nombreux PVD. Ces assertions globales affectent les banques. Leur répétition incessante engendre l'insécurisation et peut ébranler la confiance, ce qui est d'ailleurs l'objectif de certains milieux. Cette situation ne peut laisser indifférente une grande banque consciente de ses responsabilités, se vouant aux affaires sérieuses et sans équivoque, à plus forte raison, les banques suisses qui non seulement se plient aux prescriptions légales, mais appliquent des principes d'éthique reconnus, se soumettant de leur propre volonté à une obligation de diligence pour l'acceptation de fonds de tiers. Il sera tout d'abord question du flux international des capitaux et de son importance dans le cadre des relations commerciales et des communications à l'échelle mondiale. A partir de ce tour d'horizon, nous expliquerons ce qu'il faut entendre par fuite des capitaux et ce qui la provoque. Un chapitre sera consacré à ses effets sur l'endettement et aux conditions indispensables au rapatriement. Pour terminer, nous poserons la question de savoir si, et dans quelle mesure, la Suisse et ses banques constituent un cas particulier. Un chapitre récapitulatif donnera une vue d'ensemble au lecteur peu familiarisé avec le sujet et répondra brièvement aux principales questions soulevées. La présente brochure se donne donc pour objectif d'analyser à fond les causes et l'ampleur de la fuite des capitaux et de procéder à une évaluation différenciée. Elle doit montrer que les banques sont conscientes des grandes responsabilités qui leur incombent et qu'elles méritent la confiance accordée. En 1984 déjà, j'avais rédigé un exposé dans le cadre des brochures UBS en vue de la votation fédérale sur l'initiative du parti socialiste dirigée contre les banques. Intitulée "La fuite des capitaux du tiers monde réalité et fiction", cette publication avait pour but de lutter contre l'ignorance, d'éliminer les malentendus et de faire un sort aux préjugés. Les idées et conclusions qu'elle contenait sont toujours valables. C'est pourquoi certaines parties ont été reprises dans la présente publication. De toute évidence, le sujet demeure d'actualité. Les discussions sur la fuite des capitaux se sont poursuivies, ne serait-ce que parce que le rapport existant avec la crise de l'endettement des principaux pays du tiers monde est devenu encore plus manifeste. D'où la nécessité d'éviter une nouvelle fois les malentendus et d'éliminer les préjugés. Le matériel statistique disponible sur les flux internationaux de capitaux s'est toutefois enrichi dans l'intervalle. Bien que reposant largement sur des estimations, il autorise néanmoins une approche détaillée et un meilleur jugement du problème. En outre, il permet de conclure que la fuite des capitaux est un élément des mouvements internationaux de fonds, dont le volume atteint une ampleur gigantesque. Flux internationaux de capitaux: provenance et destination Ampleur Une étude récemment publiée par le Fonds monétaire international renseigne sur les capitaux en provenance du tiers monde (Staff Studies for the World Economic Outlook: International Monetary Fund, Washington, D.C., août 1987). Le tableau en page 10 en donne une image statistique: Capitaux en fuite provenant des pays endettés 1975-1985 (en milliards de dollars) Il ressort que sur des sorties totalisant 253,2 milliards de dollars, les capitaux en fuite représenteraient mondialement 183,6 milliards de dollars. Publiée en mars 1986, l'étude de la Morgan Guaranty Trust Company sur le "LDC Capital Flight" donne une estimation des sorties de capitaux pour les pays principalement affectés (cf. tableau page 11): Sorties de dont capitaux en fuite capitaux Moyenne par an Total Total 1975-78 1979-82 1983-85 _ Afrique 30,4 1,7 4,1 1,8 28,5 Asie 50,6 -0,8 7,0 -2,2 18,3 Europe 18,1 1,1 2,7 3,0 24,0 Moyen-Orient 1 23,1 0,2 -0,7 2,7 6,2 Amérique latine 131,0 3,7 14,7 11,0 106,6 1 Pays non exportateurs de pétrole Montants en milliards de dollars 1976-82 1983-85 Total _ Argentine -27 1 -26 Bolivie -1 0 -1 Brésil -3 -7 -10 Chili 0 1 1 Colombie 0 0 0 Equateur -1 -1 -2 Mexique -36 -17 -53 Pérou 1 -1 0 Uruguay -1 0 -1 Venezuela -25 -5 -30 _ Total intermédiaire -93 -30 -123 _ Afrique du Sud -13 -4 -17 Corée -6 -6 -12 Inde -6 -4 -10 Indonésie -6 1 -5 Malaysia -8 -4 -12 Nigeria -7 -3 -10 Philippines -7 -2 -9 Thaïlande 1 -1 0 _ Total intermédiaire -52 -23 -75 _ Total pour les 18 pays -145 -53 -198 _ L'exactitude des chiffres susmentionnés est contestée par quelques pays, notamment l'Afrique du Sud. Les estimations relatives à l'Amérique latine sont supérieures aux valeurs du FMI pour les années 1976-82, mais inférieures pour la période 1983-85. La récente publication de l'Institute for International Economics, Washington, D.C., intitulée "Capital flight and Third World Debt", fournit un matériel statistique très détaillé. Les estimations des auteurs (Lessard, Williamson, Kindleberger, Cuddington, Dornbusch et quelques autres) divergent parfois sensiblement. A noter toutefois que les analyses des causes, de l'ampleur, des mécanismes, des répercussions et des remèdes possibles concordent largement avec mes propres résultats et conclusions. Quelques pays d'Amérique latine méritent sous ce rapport une attention particulière. La Banque d'Angleterre évalue les sorties de capitaux en provenance d'Amérique latine à 80 milliards de dollars pour la période 1980-84, soit 16 milliards de dollars en moyenne par an. L'Institute of International Finance, Washington D.C. estime que des particuliers argentins auraient acquis pour 15,1 milliards de dollars d'actifs à l'étranger entre 1981 et 1984. Les chiffres sont respectivement de 38,7 milliards pour le Mexique et de 24,7 milliards pour le Venezuela. Ces avoirs vont des deux tiers au double de la formation annuelle de capital dans leur pays d'origine et sont un indice évident que tout n'allait pas pour le mieux dans ces pays à l'époque. Mais cela indique également qu'il existe aussi dans le tiers monde des particuliers et des entreprises disposant de fonds énormes qu'ils peuvent mobiliser rapidement. Ces vingt dernières années, on a assisté dans tous ces pays à l'apparition de larges classes moyennes prospères qui, à côté des couches traditionnelles de gens très riches menant grand train, bénéficient d'un niveau de vie ne le cédant en rien à celui de leurs homologues européens, voire parfois le dépasse. Actuellement, il faut reconnaître que ces classes moyennes sont aussi sensiblement affectées par les mesures économiques d'austérité. Dans une étude remarquable, le Centre d'études prospectives et d'informations internationales, un institut de recherches rattaché au commissariat français au Plan, a attiré l'attention sur le fait que la balance mondiale des paiements présente un trou de 300 milliards de dollars. Il en conclut que si, selon les balances des opérations courantes 1985, les pays ont déboursé mondialement 331 milliards de dollars pour le paiement des intérêts, les revenus d'intérêt déclarés ne s'élèvent eux qu'à 282 milliards. Le CEPII attribue principalement cet écart aux avoirs internationaux échappant à toute saisie statistique et devant être considérés comme des avoirs non déclarés de particuliers. La comparaison des 300 milliards "disparus" avec les estimations données sur les sorties de capitaux du tiers monde permet cependant de déduire qu'une quantité notable de transferts non enregistrés provient aussi des pays industriels. L'ensemble du matériel statistique disponible autorise à penser que les transferts internationaux assimilés généralement à une fuite des capitaux ont atteint un volume considérable. Il s'agit là d'un phénomène mondial. Celui-ci n'est pas récent, mais a pris de telles proportions au cours des dix dernières années, surtout en Amérique latine, qu'un jugement objectif s'impose. Une estimation est d'autant plus nécessaire que l'ampleur du phénomène rend difficile toute appréciation morale des comportements individuels. Dans les chapitres suivants, nous tenterons d'expliquer les raisons de l'accélération des mouvements de capitaux et d'analyser plus en détail le problème de la fuite des capitaux. Mais au préalable, il serait intéressant de déterminer où les fonds se sont principalement réfugiés. Etats-Unis: principal refuge La destination des fonds ne se laisse pas établir avec certitude. L'étude citée de la Morgan Guaranty Trust Company donne, en s'appuyant sur des estimations du FMI et du Trésor américain, le tableau récapitulatif suivant des avoirs dans des banques aux Etats-Unis et à l'étranger: Montants en milliards de dollars Banques Autres Total des aux banques à banques à Etats-Unis l'étranger l'étranger _ Argentine 4,1 4,1 8,2 Bolivie - - 0,4 Brésil 1,7 6,8 8,5 Chili 1,6 0,6 2,2 Colombie 1,8 0,8 2,6 Equateur 0,7 0,6 1,3 Mexique 11,1 4,2 15,3 Pérou 1,0 0,5 1,5 Uruguay 1,2 0,8 2,0 Venezuela 7,1 5,5 12,6 _ Total intermédiaire 30,3 24,3 54,6 _ Afrique du Sud 0,0 1,3 1,3 Corée 0,1 0,3 0,4 Inde 0,1 1,6 1,7 Indonésie 0,2 0,5 0,7 Malaysia 0,0 1,0 1,0 Nigeria - - 1,4 Philippines 0,7 0,4 1,1 Thaïlande 0,2 0,2 0,4 _ Total intermédiaire 1,3 6,7 8,0 _ Total pour les 18 pays 31,6 31,0 62,6 Il en ressort, ce qui ne surprend pas, que les Latino-américains accordent de loin la préférence aux banques situées aux Etats-Unis, alors que les investisseurs asiatiques diversifient davantage. L'étude du FMI d'août 1987 part également de l'hypothèse que les avoirs des investisseurs privés des PVD atteignent aussi des montants très élevés aux Etats-Unis. Selon le FMI, 100 milliards de dollars au moins proviennent des pays d'Amérique latine actuellement en proie à une pénurie de capitaux et à une dégradation du niveau de vie, ce qui représente 20% environ de la dette extérieure sud-américaine. En supprimant, en 1984, l'impôt anticipé sur les bons du Trésor et les obligations détenus par les étrangers, le département du Trésor a fait ainsi des Etats-Unis le plus grand paradis fiscal du monde. Il ne fait aucun doute pour moi que les Etats-Unis gèrent actuellement la plus grande part des fortunes de particuliers originaires du tiers monde, notamment si on tient compte des fonds considérables investis en titres et dans l'immobilier. L'étude du FMI montre en outre que l'abrogation de la "Withholding Tax" en 1984 a très sensiblement encouragé le flux durable de capitaux étrangers en direction des Etats-Unis. D'après ce rapport aussi, les fonds provenant d'Amérique latine ont trouvé largement refuge aux Etats-Unis. Globalisation des placements de capitaux Les fonds placés en dehors des frontières nationales sont très souvent assimilés à des capitaux en fuite. Rien n'est pourtant plus éloigné de la réalité. L'énorme développement des investissements internationaux depuis la Seconde Guerre mondiale n'est pas encore ou pas suffisamment perçu dans de larges milieux. Ce sont ces mouvements de capitaux qui ont gêné le fonctionnement des Accords de Bretton-Woods et finalement provoqué leur effondrement. Créé en 1944, le système monétaire visait à maîtriser les flux de capitaux générés par le trafic des marchandises. En revanche, il n'était plus adapté à la charge croissante résultant de la progression constante des mouvements de fonds. A mon avis, la diversification géographique extrême des investissements ces 20 dernières années est une des raisons essentielles de l'augmentation des avoirs des particuliers et des institutions du monde entier auprès des établissements de crédit des principaux centres financiers internationaux. De toute évidence, ceux-ci comprennent aussi les flux de capitaux en provenance des pays du tiers monde (cf. chapitres précédents), dont une partie est certainement en fuite. Il est toutefois fort probable qu'ils ne représentent qu'un faible pourcentage par rapport au volume global des investissements internationaux. Il ne fait aucun doute que la libéralisation des investissements au sein de la Communauté européenne fixée pour 1992 entraînera un énorme courant de capitaux entre les douze pays de la CEE. On estime le volume global à 400 milliards de dollars environ. La diversification géographique représente une nouvelle dimension dans les règles de placement. S'il a de tout temps été admis comme normal de subdiviser les investissements en catégories de placement (obligations, actions, dépôts à terme, fonds de placement, immeubles, métaux précieux, objets d'art, etc.), la globalisation croissante d'importantes activités économiques a cependant conduit de plus en plus à considérer aussi l'aspect géographique. Certains chiffres sur les opérations internationales effectuées aux bourses américaines de valeurs mobilières en 1986 peuvent servir d'exemple. Il en ressort que les Américains ont acquis pour 102 milliards de dollars d'actions étrangères en un an, tandis que les étrangers, durant le même laps de temps, ont acheté pour 227 milliards de dollars d'actions américaines. A la fin de 1986, la valeur du patrimoine détenu à l'étranger par les caisses de pension américaines privées s'élevait à 45 milliards de dollars. Selon une récente étude de la Compagnie Suisse de Réassurances, les assureurs directs ont porté leurs immobilisations de 590 milliards de dollars en 1975 à 1881 milliards de dollars en 1985. L'activité internationale accrue des investisseurs institutionnels, notamment les caisses de pension, les compagnies d'assurances, les grandes sociétés d'investissement, etc. - les chiffres cités donnent quelques exemples - a été particulièrement spectaculaire. Parmi les caisses de pension, on compte également celles des administrations nationales qui, depuis quelques années, investissent davantage hors de leur propre pays. Compte tenu de l'importance croissante de la formation institutionnelle de capital, les fonds en quête de placement représentent annuellement des montants considérables. Il n'est donc pas étonnant que les investisseurs institutionnels soient devenus les clients préférés des banques internationales. Parallèlement au développement exceptionnel des investissements institutionnels, les placements des particuliers du monde entier ont aussi progressé, favorisés par la hausse du niveau de vie dans les pays industriels et par des situations particulières, telles que la nouvelle richesse des pays producteurs de pétrole. Il n'y a donc rien de surprenant à ce que les banques des cinq continents fassent tout leur possible pour jouer un rôle actif dans la gestion de fortunes. Les courtiers, les sociétés financières et les banques ne publient généralement pas la valeur boursière des dépôts de leur clientèle. La Deutsche Bank fait toutefois exception. Dans son rapport annuel 1986, elle a en effet indiqué que la valeur boursière des titres dans les dépôts clients du groupe avaient progressé de 3,7% à 170 milliards de marks durant l'exercice et plus que doublé pendant les cinq dernières années, en distinguant entre la gestion de portefeuilles pour les résidents et pour les étrangers. Il n'existe aucune statistique concernant les établissements suisses, mais dans bien des cas la valeur des dépôts devrait dépasser la somme du bilan. Les opérations avec les investisseurs privés et institutionnels revêtent désormais une importance capitale pour les établissements intéressés à ce secteur. Si le secteur était auparavant la spécialité de quelques banques européennes, de courtiers, "de merchants banks", etc., force est de constater qu'aujourd'hui le "private banking" est devenu l'apanage d'un nombre considérable de banques dans le monde entier et qu'il continue d'être activement développé. Les établissements suisses de crédit, compte tenu de leur longue tradition dans ce domaine, des connaissances et de l'expérience acquises, du niveau élevé de formation technique et linguistique de leurs collaborateurs disposent d'un avantage considérable face à une concurrence étrangère harcelant de plus en plus leurs positions. En outre, ils bénéficient d'un environnement favorable: sécurité d'un Etat de droit, stabilité économique et politique du pays. Comme les graphiques de la page suivante en font foi, le "Private Banking Swiss Style" semble être un label international de qualité dont la concurrence internationale s'inspire. Fuite des capitaux Qu'entend-on par fuite des capitaux ? C'est immédiatement poser la question d'une définition de la notion. Il est d'ailleurs significatif que l'étude du FMI fait déjà une distinction entre les flux de capitaux au sens large et la fuite de capitaux proprement dite. Cette distinction est toutefois très difficile à faire, d'autant que le phénomène ne se limite pas aux PVD ou aux PVI. Il est connu que les Belges, les Français et les Italiens (pour ne donner que quelques exemples) investissent traditionnellement hors de leur pays, pour des motifs souvent très différents. Une part considérable des flux de capitaux a pour origine le besoin très légitime de la diversification géographique des investissements. Je me suis déjà exprimé en détail sur ce sujet. A mon avis, la notion de fuite des capitaux mérite une analyse plus approfondie et une redéfinition. Il est évident que toute forme de transfert international de fonds ne peut être assimilée sans autre à une fuite de capitaux. Sinon, on en arriverait au résultat grotesque que les placements de banques suisses sur l'euromaché, l'achat d'une obligation en dollars par un résident suisse ou les investissements directs d'une entreprise suisse à l'étranger sont également à considérer comme des formes de fuite de capitaux. La notion de fuite de capitaux doit donc être clairement définie et délimitée par rapport aux flux normaux de fonds sur le plan international. C'est ici précisément que débutent les difficultés. Sous la désignation de capitaux en fuite, le juriste comprend les transferts de capitaux de pays dont la législation restreint ou interdit le placement d'avoirs à l'étranger. Cette forme d'exportation de fonds est donc illégale en vertu de l'ordre juridique du pays d'origine. Si l'on admet cette définition, toutes les exportations de capitaux en provenance de PVD échappent à l'accusation d'illégalité, pour autant qu'elles soient conformes aux prescriptions légales des pays en question. La remarque vaut en particulier pour les avoirs des banques centrales à l'étranger. Ces avoirs sont maintenus à titre de réserves monétaires. Du fait que le franc suisse est devenu l'une des principales monnaies de réserve internationales, les banques centrales des pays en développement détiennent d'importants montants en francs. Plus de la moitié des avoirs retenus par les statistiques suisses et provenant de pays du tiers monde appartiennent soit à des instituts d'émission, soit à des banques commerciales. Le surplus, après déduction des avoirs des banques, ne consiste de loin pas uniquement en capitaux en fuite. Fréquemment, des entreprises commerciales et des particuliers détiennent en toute légalité des fonds à l'étranger. Les PVD prévoient cette possibilité surtout pour les entreprises et les particuliers domiciliés à l'étranger. Il s'agit, dans bien des cas, de personnes venant de pays industrialisés, séjournant pour des raisons professionnelles dans le tiers monde et se faisant verser une partie de leur salaire dans leur pays d'origine. L'expérience prouve en outre que les diplomates des Etats étrangers déposent en général leur fortune privée hors de leur propre pays. Du fait que ces avoirs entrent dans nos statistiques selon le critère du domicile et non pas selon celui de la nationalité, ils apparaissent aussi comme des engagements envers les PVD. Une enquête interne menée par l'UBS sur la valeur des dépôts de tous les clients d'un grand pays d'Amérique du Sud a démontré qu'un quart de ces avoirs n'appartient pas à des ressortissants de cet Etat, mais à des étrangers, spécialement à des Suisses domiciliés dans le pays en question. Prétendre que ces avoirs sont des capitaux en fuite est une absurdité. Il est parfaitement normal qu'un étranger travaillant un certain temps dans un tel pays place au moins une partie de ses économies dans son pays d'origine. La notion de capitaux en fuite appelle encore une autre précision. L'exportation de capitaux est tout au plus illégale lors du franchissement de la frontière. Si le placement d'avoirs à l'étranger n'est limité ou interdit que bien après que le détenteur des fonds ait transféré ces derniers, il n'y a pas fuite de capitaux. Le cas n'est pas tellement rare. L'instabilité politique qui caractérise bien des PVD a parfois pour conséquence de profondes modifications de l'ordre juridique. Il en résulte que ce qui est légal aujourd'hui peut devenir illégal demain. Il serait plus réaliste de définir la fuite des capitaux comme des créances sur l'étranger ne produisant pas de revenus de capitaux dans la balance des opérations courantes du pays d'origine. Pourquoi une fuite des capitaux ? Après ces considérations sur l'ampleur et l'évolution des placements internationaux dus aux désirs croissants de diversification des investisseurs et à la globalisation généralisée des affaires bancaires, il apparaît toujours aussi nécessaire de rechercher les causes de la fuite des capitaux proprement dite. Je pense avoir été suffisamment explicite sur le fait que tous les investissements internationaux ne doivent pas - loin de là - être assimilés à une fuite de capitaux. Néanmoins, il me semble indispensable d'analyser pourquoi dans certains pays on peut ou on doit recourir à la fuite des capitaux. Bien que les transferts internationaux, légaux ou illégaux, puissent avoir diverses causes, on peut grouper les raisons du flux de capitaux en provenance des pays en développement en quatre catégories principales: protection insuffisante de la propriété privée, taux d'inflation élevé, annonce de restrictions de change et système bancaire trop peu développé. Ces quatre causes fondamentales méritent un examen plus détaillé. La propriété privée peut être exposée à toutes sortes de menaces: nationalisation, charge fiscale confiscatoire, limitation ou suspension du droit de disposition, actes criminels tels que vol et chantage. La menace est souvent encore aggravée du fait que la police et les tribunaux, corrompus ou inefficaces, ne parviennent pas à protéger les droits de propriété les plus élémentaires, même si ces droits sont ancrés dans la constitution et codifiés dans les lois. De plus, les citoyens de ces pays n'ont guère confiance en la stabilité et la continuité de l'ordre étatique et légal. L'expérience prouve, en effet, que les changements rapides et souvent inattendus de régimes politiques peuvent entraîner de profondes et imprévisibles modifications du système juridique. Toutes ces formes de menaces ont un aspect commun: le risque sérieux de perdre la propriété privée. Dès lors, il n'est pas étonnant que les détenteurs de patrimoines cherchent à parer le danger en mettant au moins une partie de leurs avoirs en sûreté à l'étranger. Les taux d'inflation astronomiques provoquent une rapide érosion du pouvoir d'achat réel des valeurs nominales. Leur cause est un manque de discipline dans la politique monétaire et financière, laquelle finit par échapper à tout contrôle pour les raisons les plus diverses. Il en résulte immanquablement la déstabilisation de tout le système financier, de sorte que le détenteur d'avoirs nominaux est placé devant l'alternative suivante: ou bien il ne fait rien et sa fortune fondra comme neige au soleil, ou alors il se protège soit en convertissant ses valeurs nominales en valeurs réelles, soit en se réfugiant dans une monnaie étrangère plus stable. En règle générale, cependant, l'achat de devises équivaut à un transfert de capitaux à l'étranger. Une mauvaise politique monétaire cherchant à maintenir des taux de change surfaits aboutit au même résultat. Elle favorise nécessairement la fuite des capitaux et fait redouter que des mesures de contrôle des changes soient mises en place pour freiner cet exode. L'encadrement des transferts de fonds est une grave atteinte au droit de disposer de la fortune privée. C'est pourquoi la crainte de telles mesures suffit déjà, à elle seule, à provoquer une vague d'exportations de capitaux. Les transferts sont faits à la dernière minute, juste avant qu'ils deviennent illégaux. Si l'on s'en tient à la définition juridique de la fuite de capitaux, il n'y a pas délit. Ces transactions ne sont illégales qu'après l'entrée en vigueur des mesures de contrôle. La qualité précaire du système bancaire de certains PVD est une cause à ne pas sous-estimer. Elle comporte deux dimensions: d'un côté, la part des fonds propres dans le bilan des banques est souvent si faible que l'épargnant court un sérieux risque de ducroire; de l'autre, la qualité des services laisse parfois tellement à désirer qu'elle ne saurait satisfaire aux besoins d'une clientèle exigeante qui préfère, dès lors, confier sa fortune à la gestion experte d'une banque étrangère. Les menaces pesant sur l'épargne ne sont en aucun cas un triste "privilège" des PVD. L'annonce d'un impôt à la source sur les revenus de capitaux par le ministre des finances d'Allemagne fédérale Stoltenberg a déclenché des sorties de fonds en direction des pays limitrophes, Luxembourg, Liechtenstein, Suisse et Autriche. A propos de ce nouvel impôt, le président de la Bundesbank Karl Otto Pöhl a mis alors en garde sur le fait que les placements avaient "une mémoire d'éléphant, le coeur d'un agneau et la vélocité d'un lièvre". En cela, les Européens ne se différencient manifestement en rien des Latino-américains, des Africains ou des Asiatiques. Et après tout, ne doit-on pas faire preuve de compréhension si les habitants de pays, dont la sécurité est sérieusement menacée, cherchent un refuge sûr pour leur argent? Historique Le problème du flux de capitaux en provenance de pays du tiers monde n'est pas nouveau, bien qu'il se soit accentué en raison de la crise de l'endettement. Ici aussi, les traditions sont anciennes. Au siècle dernier, par exemple, les fonds privés sud-américains prenaient le chemin des centres financiers internationaux de l'époque, avec une préférence marquée pour Paris, Londres et Amsterdam. Les flux actuels de capitaux rappellent que, même dans un passé plus lointain, des causes très semblables (insécurité politique et économique, inflation, défiance à l'égard des autorités, etc.) ont été suivies d'effets analogues. C'est ainsi que la France a subi une hémorragie de capitaux à l'occasion de l'exode des Huguenots entre 1685 et 1700 après la révocation de l'Edit de Nantes, pendant la tourmente révolutionnaire de 1789 à 1797, à la suite de la guerre perdue de 1870/71, en 1926 année de la dévaluation du franc, et durant la crise de confiance de 1936 suscitée par le Front populaire. En Allemagne, la fuite des capitaux a culminé durant l'inflation galopante des années 1919-23 et la persécution des Juifs au cours des années trente. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis sont le pays d'investissement privilégié des Latino-américains. Il n'est que de se souvenir du développement foudroyant de la place de Miami, devenue un pôle d'attraction pour les fonds en quête de placement, au même titre que Los Angeles, San Diego, Houston et bien entendu New York. A noter également que Panama s'offre comme refuge aux fonds provenant des pays voisins et que l'Espagne a joué traditionnellement un rôle pour les investisseurs Latino-américains. De toute évidence, Madrid a regagné en importance ces dernières années, compte tenu de la bonne évolution de l'économie espagnole. La place de Montevideo a de tout temps constitué une position de repli pour les Argentins. Fait remarquable, il ne s'agit absolument pas d'une voie à sens unique. Un coup d'oeil sur les statistiques bancaires uruguayennes permet en effet de constater que le volume des fonds investis dans ce pays décroît sensiblement lorsque la situation politique et économique de l'Argentine s'améliore. Les pays africains donnent curieusement la préférence à leur ancienne puissance coloniale. C'est ainsi que les Africains francophones placent leur argent à Paris ou à Monte-Carlo, tandis que les anglophones, notamment les Nigérians, choisissent Londres depuis des décennies. Les banques de Singapour sont le refuge traditionnel de fonds provenant d'Indonésie. De nos jours encore, des perspectives politiques défavorables peuvent provoquer des flux de capitaux. La place financière de Hongkong constitue en cela un exemple, puisque les incertitudes liées au devenir de la colonie de la Couronne après 1997 et sa prise de contrôle par la Chine ont incité nombre d'habitants fortunés à investir à l'étranger, principalement sur la côte ouest des Etats-Unis et du Canada, ainsi qu'en Australie. Les Etats-Unis sont ainsi le premier pays d'accueil, bien que la Suisse soit également très prisée et que d'autres places financières aient aussi sensiblement gagné en importance et se donnent beaucoup de mal afin d'attirer les capitaux étrangers. Les exemples ci-contre d'annonce de banques luxembourgeoises passées dans des journaux allemands en sont la preuve. Comment s'effectue la fuite des capitaux ? Il est notoire que même les interdictions les plus strictes des autorités ne servent à rien si quelqu'un est résolu à trouver une issue ou un moyen de contournement. Cela vaut également pour les restrictions dans le trafic international des paiements. L'obligation de solliciter une autorisation ou l'interdiction d'effectuer des paiements ne constituent pas - on l'a souvent constaté - un obstacle insurmontable pour ceux qui, pour une raison ou une autre, ont décidé de transférer des fonds à l'étranger. Il n'est nullement de mon intention de donner des recettes, d'autant que conformément à la Convention relative à l'obligation de diligence les banques suisses s'interdisent toute assistance en matière de fraude fiscale et de transfert illégal de devises. La méthode classique consiste à faire passer des billets en contrebande. Il existe cependant beaucoup d'autres moyens d'atteindre le même objectif. C'est ainsi que dans les pays imposant des restrictions de transfert on trouve toujours des intermédiaires disposés à compenser les paiements dans le pays par des avoirs portés en compte à l'étranger, bien entendu contre un gain de change substantiel. Ce type de virement est particulièrement en vogue dans les pays dont une partie de la population travaille à l'étranger et rapatrie son épargne (Italie, Turquie, etc.). Des compensations d'un tout autre ordre de grandeur s'effectuent aussi par le biais de fausses factures dans le trafic international des marchandises, surtout si les taux de change ne correspondent pas aux rapports réels. Les travaux déjà cités de l'Institute for International Economics fournissent à ce sujet un matériel statistique abondant. La "sous-facturation" des exportations et la "surfacturation" des importations ne sont évidemment possibles qu'avec l'accord et la participation de partenaires d'affaires complaisants à l'étranger. Pour couper court à ce genre de pratique un certain nombre de pays ont chargé des établissements internationaux spécialisés du contrôle de la conformité de la valeur des échanges. La Société Générale de Surveillance à Genève fait partie de ces établissements. Dans de nombreux cas, elle a freiné très efficacement le recours abusif au trafic des marchandises destiné à camoufler des transferts de capitaux. Capitaux en fuite et crise de l'endettement Incidence sur l'endettement Il est intéressant de constater rétrospectivement que le flux de capitaux en provenance de pays du tiers monde n'a longtemps pas été perçu comme un problème et ne retient l'attention d'un large public que depuis le déclenchement de la crise de l'endettement. Tant que les sorties de capitaux ont été compensées par l'injection de crédits étrangers, le phénomène n'a pas excessivement préoccupé les autorités des pays débiteurs. En revanche, on assiste à un changement depuis 1982 et le sujet est devenu explosif du fait d'une situation où les valeurs intrinsèques estimées des fortunes privées à l'étranger atteignent des montants de l'ordre du quart ou du tiers de la dette publique extérieure. L'étude de la Morgan Guaranty Trust Company permet d'illustrer dans le tableau suivant l'influence exercée par les flux de capitaux sur la dette extérieure de quelques pays, pour autant que les chiffres avancés soient fiables. Incidence de la fuite des capitaux sur l'endettement (en milliards de dollars) Endettement extérieur Endettement extérieur brut brut en % des exportations de Fin 1985 biens et de services nominal sans la fuite nominal sans la fuite des capitaux 2 des capitaux 2 _ Argentine 50 1 493 16 Brésil 106 92 358 322 Mexique 97 12 327 61 Venezuela 31 -12 190 -55 Malaysia 20 4 103 18 Nigeria 19 7 161 62 Philippines 27 15 327 195 Afrique du Sud 24 1 131 15 1 Le rapport endettement/exportations est basé sur l'endettement moyen du début à la fin de 1985. 2 En admettant que la dette extérieure et le service de la dette se seraient réduits sans la fuite des capitaux et que le flux résiduel de capitaux (investissements directs, variations des avoirs à l'étranger de banques centrales et de banques, postes de la balance des opérations courantes sans les paiements d'intérêts) correspondrait au chiffre actuel. Rapatriement dans les pays débiteurs? On peut dire à juste titre que des pays comme le Mexique, le Nigeria, l'Argentine, les Philippines et, dans une moindre mesure, le Brésil amélioreraient sensiblement leur endettement si ces fonds étaient réinvestis de façon productive sur leur propre territoire. La question est de savoir comment y parvenir. A mon avis, une des tâches prioritaires des gouvernements des pays endettés serait de veiller à l'adoption de mesures politiques et économiques adéquates, afin de restaurer un climat de confiance qui à long terme rendrait le rapatriement attrayant et à court terme ferait perdre tout intérêt à de nouvelles sorties. Le financement non inflationniste des budgets publics et des taux de change réalistes sont les conditions indispensables d'une telle politique, vu que le non-respect de ces deux principes de base a sensiblement contribué précédemment à l'exode des capitaux vers des lieux plus sûrs. Compte tenu des conditions politiques, institutionnelles et économiques prévalant actuellement dans de nombreux PVD, il ne faut malheureusement pas tabler sur un rapatriement prochain des fonds placés à l'étranger. Les exceptions confirment la règle: pour cela un changement radical de l'environnement politique, économique et juridique s'impose. Les énormes déficits publics doivent être réduits et la création de monnaie maintenue sous contrôle. Il ne faut toutefois pas s'attendre à ce que même des mesures draconiennes produisent des effets du jour au lendemain. Les changements de politique économique doivent aussi être crédibles et durables du point de vue des détenteurs de capitaux, afin qu'ils investissent de nouveau dans les pays concernés. Tant que leur confiance n'aura pas été regagnée, ils continueront à placer leur fortune hors de ces pays. Les retours dans les pays d'origine sont tout à fait possibles. L'exemple déjà cité de l'Argentine, mais également l'expérience tirée des capitaux italiens ou français réfugiés chez nous en sont la preuve. Il est établi qu'une amélioration de l'environnement et la perspective d'investissements performants inversent le flux des capitaux du Nord vers le Sud ou l'Ouest. Ce phénomène a pu être observé en 1986/87 en ce qui concerne les fonds mexicains placés aux Etats-Unis. Selon des estimations du Banco do Mexico, les rapatriements effectués à cette époque ont avoisiné trois milliards de dollars, après qu'une politique monétaire suffisamment attrayante ou contraignante eut été adoptée. Il dépend largement des gouvernements des pays débiteurs de savoir si d'autres capitaux également placés pour le moment à l'étranger prendront le chemin du retour. Dans l'intérêt d'un assainissement et d'une stabilisation économiquement et politiquement souhaitables pour tous les PVD et les PVI les plus endettés, il serait bon qu'au moins une partie des capitaux en fuite soit replacée de façon productive dans leur propre pays. La Suisse et ses banques: un cas particulier ? Lorsqu'il s'agit de fuite des capitaux, les banques internationales et plus particulièrement les banques suisses se voient toujours attribuer le mauvais rôle. A la lumière de ce qui précède, il devrait être maintenant évident que cela n'est guère justifié. La Suisse exerce un attrait sur les investisseurs étrangers pour diverses raisons (sécurité d'un Etat de droit, stabilité politique et économique, qualité des banques et des compagnies d'assurances, etc.) et nos établissements sont très actifs. Nous nous conformons cependant à des principes plus stricts que dans n'importe quel autre pays lors de l'acceptation de dépôts. C'est ainsi que depuis le renforcement récent de la convention relative à l'obligation de diligence la place financière suisse dispose d'un instrument efficace, utile et d'une portée unique par rapport à tous ceux des autres places financières, dans la lutte contre les abus qui affectent l'économie de marché. L'obligation de diligence contient des dispositions d'une sévérité sans égale à l'étranger. La convention impose aux banques non seulement de vérifier soigneusement l'identité du détenteur du compte, mais aussi de connaître l'ayant droit économique. En outre, il est interdit aux banques suisses d'apporter une assistance active en matière de fuite des capitaux et de fraude fiscale. Les violations de cette convention de droit privé sont punissables d'une amende allant jusqu'à 10 millions de francs. Une commission d'arbitrage a été instituée en vue d'établir et de réprimer les infractions. Celle-ci est depuis peu présidée par l'ancien Conseiller fédéral Alfons Egli. La convention suscite également un intérêt marqué sur le plan international. Elle a servi par exemple de modèle au Conseil de l'Europe pour ses recommandations relatives aux mesures contre les transferts et les dépôts de fonds d'origine criminelle. Ces dispositions sont renforcées par le devoir de diligence des gérants fiduciaires et des avocats. Je ne connais pas de déclarations et d'engagements analogues émanant de banques d'autres pays. En outre, on peut aussi se demander pourquoi la controverse sur la fuite de capitaux ne vise que les banques ? Pour quelle raison ne fait-on jamais allusion aux bijoutiers, aux commissaires-priseurs, aux maisons de mode, etc., qui acceptent également des fonds de toute provenance ? Pourquoi les compagnies d'assurances ne sont-elles pas soumises au même feu roulant, puisqu'elles vendent des polices d'assurance-vie ayant aussi un caractère de placement, alors que selon mon expérience l'origine des fonds ne semble guère susciter d'émoi. Manifestement, nous autres banques nous trouvons dans une catégorie spéciale, plus exposée aux regards de tout un chacun. On peut considérer cette situation comme une appréciation de choix de nos activités et de notre position; il n'empêche cependant que cela nous expose aussi à être davantage critiqués et jugés par un large public. Résumé synoptique 1. Les flux internationaux de capitaux ont pris des proportions gigantesques. L'élévation sensible du niveau de vie dans la plupart des parties du monde a suscité des besoins d'investissement pour des centaines de millions de possédants. L'accroissement de l'épargne institutionnelle a entraîné de fortes concentrations de capitaux, d'où une pression à la diversification géographique. 2. Toutes les sorties de fonds ne sont de loin pas des capitaux en fuite. Elles ne méritent également que partiellement la marque d'infamie attachée aux actes immoraux ou anti-patriotiques. Les sorties ou les fuites sont occasionnées par des dangers d'un côté et des conditions plus favorables de l'autre. 3. On entend par fuite le transfert non autorisé de capitaux dans d'autres pays. Les restrictions apportées peuvent être modifiées. Elles ne sont fondées en droit qu'au moment de leur entrée en vigueur. Leur décret, leur observation et leurs répercussions sont du domaine de responsabilité du pays d'origine. 4. Les conséquences de la fuite des capitaux peuvent être dévastatrices: injustices, détérioration des chances de croissance, baisse des investissements, déficit fiscal, endettement croissant et charge d'intérêts accrue, instabilité politique, perte de crédibilité. 5. Les causes de la fuite des capitaux ont leurs racines principalement dans le pays d'origine. Il s'agit fréquemment d'une accumulation de contraintes et de risques politiques, économiques et financiers menaçant directement la liberté et la propriété et qui incitent à la violation du droit national et à la fuite. 6. La transformation radicale des marchés globaux favorise la diversification géographique des placements de capitaux. Les télécommunications et l'informatique ont donné le jour à de nouveaux marchés et instruments financiers. Les banques, les sociétés financières, les compagnies d'assurances, etc. du monde entier recherchent la clientèle des investisseurs. 7. Les mouvements de capitaux sont également favorisés par l'environnement plus favorable dans d'autres pays. La Suisse occupe ici une position privilégiée. La combinaison des facteurs stabilité politique, sécurité, économie de marché, fermeté de la monnaie et surtout système bancaire performant est unique et lui assure une bonne réputation à l'échelle internationale. Ce n'est tout de même pas le genre de situation dont on peut faire grief à un pays. Bien au contraire! 8. La fuite des capitaux ne régressera qu'en cas d'amélioration de l'environnement dans les pays d'origine sur les plans juridique, politique et fiscal. C'est la tâche et la responsabilité de ces pays mêmes d'y veiller. Le développement du système bancaire et du secteur privé, des taux de change réalistes, des comptes en monnaies étrangères, une amnistie pour les contrevenants passibles de poursuites pour fuite des capitaux et fraude fiscale, des mesures d'encouragement à l'investissement, etc. peuvent sensiblement contribuer au rétablissement d'un climat de confiance et à l'élaboration d'un programme de rapatriement. 9. Les banques suisses ne se dérobent pas à leur responsabilité morale de maintien de relations basées sur la probité. Afin d'éviter tout abus de nos institutions, pour continuer de mériter la confiance accordée et conserver leur bonne réputation, elles se sont soumises à une convention relative à l'obligation de diligence. Celle-ci leur interdit toute assistance active en matière de fuite des capitaux et de fraude fiscale. En outre, elle les oblige à vérifier l'identité du cocontractant et d'identifier l'ayant droit économique. En exiger davantage serait déraisonnable. La Suisse ne peut ni se poser en gardien du droit ni jouer les censeurs à l'étranger. 10. Le reproche d'agissements immoraux dans la gestion des fonds en provenance du monde entier est injuste et irresponsable. Le défi lancé aux banques suisses les oblige à lutter pour défendre leur réputation exemplaire. Elles ont néanmoins besoin pour ce faire de l'estime d'un large public reconnaissant leur recherche de la probité dans un marché international en pleine expansion et âprement disputé et qu'elles offrent aux clients en quête de placements ainsi qu'aux institutions, une assistance-conseil et une gestion sérieuses et professionnelles.